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ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

de vives joies depuis mon départ de Paris. Ah ! comme je m’ennuie ! Je n’en ai plus faim… Et je comprends que l’on ait écrit d’émouvants sonnets sur l’Insaisissable Aimée que l’on appelle ici la liberté. Ga — Ga — Ga. Le sifflet des interminables trains de marchandises qui filent le long du Rhin me transperce de désespoir de la tête aux pieds. Ga — Ga — Ga. Quand je pense à ce bienheureux soir où nous nous payâmes les Maîtres chanteurs, et dans quel décor de la vie et du temps cela se passa ! Je voudrais, là, dans le château, faire du scandale, et accuser, reprocher à l’Humanité de ne pas comprendre mon sacré-cœur, mon divin cœur !

À quoi bon, je veux travailler, faire de mon volume de nouvelles quelque chose de plus qu’un médiocre bouquet de fleurs disparates. Ce sera de l’Art.

D’ailleurs — hélas ! je sais qu’en quatre ans je pourrais faire fortune si je voulais écrire des romans à la Guy de Maupassant. « Bel-Ami » est d’un maître, mais ce n’est pas de l’art pur. Peut-être ce désir de créer de l’art pur est-il un louable mais pauvre désir de nos vingt-cinq ans ? Et tout n’est-il pas égal devant la face de la Mort ?

Mon vieux Théo, j’ai traversé la Belgique. J’ai vu