Page:Lafon - L’Élève Gilles, 1912.pdf/64

Cette page a été validée par deux contributeurs.

au loin, presque brillant de soleil pâle, le vaste fleuve dont l’autre rive ne s’apercevait pas. Je ne cessais plus de regarder. Cependant, le panier garni, il fallut descendre mais l’odeur des fruits nous suivait, et j’avais, dans ma poche, deux prunes molles et noires dérobées grâce à l’ombre des volets refermés, en me rappelant combien les aimait ma mère.

Mlle  Aurélie arriva tôt, à pied, et par la cuisine, où elle dit quelques mots à Segonde, avant de nous rejoindre à la salle à manger. Elle était vêtue d’un châle et d’un bonnet noir, posé bas sur ses cheveux tirés et gris ; son visage avait cet air d’attention craintive des gens à qui la vie a déjà beaucoup demandé. Elle caressa ma joue, embrassa son amie qui achevait de garnir un compotier, et s’occupa de remplir l’autre, en mettant de côté les grains tombés des grappes fragiles, qu’elle me tendit ensuite dans le creux de sa main, avec un sourire. Elle parlait peu ; assise devant la cheminée, et près de ma tante qu’elle écoutait en hochant la tête, elle fixait la