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MOLIÈRE.

de ces animosités et aménités professionnelles, les ironies de Molière semblent assez innocentes.

Après cette débauche de réalisme gaulois, un repos dans l’idéalisme espagnol, dans le roman héroïque après la fantaisie bouffonne, était le relèvement et le rafraîchissement obligatoires. Le roi, nous dit Molière, « le roi qui ne veut que des choses extraordinaires dans tout ce qu’il entreprend » lui fournit lui-même le sujet des Amants magnifiques. Thème assez hardi pour le temps, dans une telle société, en de tels lieux, et qui révèle, chez le roi, à ce moment si bien servi par de petits bourgeois, une liberté d’esprit presque révolutionnaire. Il s’agit, en effet, d’un soldat de fortune amoureux d’une grande princesse, dont il est aimé. Sincèrement soumis tous deux aux conventions sociales, ni l’amant, ni la dame, par dignité, n’osent longtemps se déclarer. Ils finissent cependant par s’épouser, sans que le vaillant général ait besoin, comme don Sanche d’Aragon, de trouver subitement, par un coup de théâtre invraisemblable, l’humilité de son origine plébéienne échangée pour l’éclat d’une naissance royale. Toute cette action amoureuse est menée entre personnages de sentiments élevés et de langage courtois, avec une dignité souriante et d’exquises délicatesses ; les Amants magnifiques furent joués à Saint-Germain, en février 1670.

Peu de temps auparavant, au même château, le roi avait reçu en audience solennelle un envoyé du Grand Seigneur, Soliman Muta Harraca. La mise en scène était somptueuse. « Le roi, sur un trône d’argent, au-dessus d’une estrade de quatre degrés,