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la grande lutte.

les raccommodements suivis de douloureuses séparations qui, en se répétant, exaspèrent, désespèrent l’opiniâtreté d’une généreuse affection, tendre comme celle d’un amant, délicate comme celle d’un père.

Cette année-là, au début de l’hiver, il fit une rechute si grave que le bruit de sa mort se répandit. Il ne put remonter en scène durant les mois de décembre et janvier. Est-ce à ce moment, que, d’après ses amis, « profondément découragé, il essaya de vivre en vrai philosophe… toujours occupé de s’assurer une réputation d’honnête homme,… sans se mettre en peine des humeurs de sa femme qu’il laissait vivre à sa guise, quoiqu’il conservât toujours pour elle une véritable tendresse » ? C’est vraisemblable. Mais si cette crise, physique et morale, fut l’une des plus pénibles que l’homme eut à traverser, ce fut celle où le poète indigné trouva son inspiration la plus haute et la plus noblement humaine. De cette misanthropie passagère du mari, de l’ami, de l’auteur ulcérés, jaillit, comme un cri de soulagement et de vengeance, cette magnifique confidence des douleurs longuement souffertes, le Misanthrope, joué au Palais-Royal le 4 juin 1666 !

Cette fois, on ne pouvait plus reprocher au farceur un succès dû aux jeux de la scène, aux surprises de l’intrigue, à la verdeur du langage. Nulle intrigue, nul coup de théâtre, nulle action qu’une action morale. Rien qu’un développement de psychologie passionnelle dans un seul personnage et de psychologie sociale autour de lui. Jamais on n’avait exprimé, avec si peu de moyens et une