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MOLIÈRE.

Suivant ses habitudes d’habile manœuvrier, dans la farce comique, où devaient s’encadrer les entrechats des gentilshommes avec les madrigaux galants à leur adresse, Molière ne se fit pas faute d’allusions actuelles et personnelles. Le Mariage forcé rappelait, dit-on, une aventure récente du comte de Grammont. Ce joli fat, ayant compromis en Angleterre Miss Hamilton, avait oublié de l’épouser, mais les deux frères de la fille l’avaient rejoint à Douvres et forcé, l’épée en main, de réparer cette négligence. À travers les réminiscences de Rabelais, quelques-uns aussi crurent deviner, dans les allures émancipées de Dorimène, la peinture, volontairement chargée, des façons de Mlle Molière, dont les coquetteries commençaient d’inquiéter le mari laborieux, surmené, maladif, irritable. Molière, en y jouant, de nouveau, comme toujours, le rôle ingrat et ridicule, celui de Sganarelle, semblait bien, il est vrai, attaquer de face les malintentionnés pour n’être point attaqué. Rire le premier, rire plus fort que tous, de ses propres inquiétudes et de ses propres misères, c’était ne laisser à personne le droit d’en affirmer l’existence ni d’en mesurer l’étendue. Néanmoins, en se donnant à lui-même, sous un costume d’emprunt, tant de raisons pour excuser un mariage disproportionné, en se complaisant, avec une telle opiniâtreté, en des illusions de tolérance délicate et de tendres attentions, pour s’assurer l’affection et la vertu d’une indigne compagne, jusqu’au remords final, ne prêtait-il pas le flanc à toutes les malignités ? S’il riait à gorge déployée, ne pouvait-on insinuer qu’il riait jaune ? Quelques-uns n’y manquèrent pas.