Page:Lafenestre - Molière, 1909.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
LES PREMIÈRES BATAILLES.

grognon. Or, à ce moment, chez les comédiens et les lettrés, on n’ignorait point que Molière, à quarante ans, se proposait d’épouser Armande Béjart, âgée de dix-neuf. L’occasion était belle de trouver sur la scène des allusions à la réalité, et d’autant plus piquantes que le futur mari, en Sganarelle, s’était réservé le rôle ridicule et antipathique. On n’y manqua pas. Dès lors, presque à chaque nouvelle comédie, se posa la question, comme elle se pose encore, de la part de sentiments personnels introduite par Molière en ses figures théâtrales, d’une apparence si impersonnelle.

Question inévitable et légitime, question complexe et, le plus souvent, insoluble, si l’on veut une réponse précise. Qui déterminera jamais, dans les créations du génie et de l’art, la quantité d’éléments que les créateurs ont tiré fatalement d’eux-mêmes, de leurs passions et de leur vie, et ce qu’ils ont extrait du monde et des êtres extérieurs par l’observation et l’expérience ? Il n’est point d’œuvre, si personnelle ou impersonnelle qu’elle veuille ou puisse paraître, qui ne soit un amalgame de ces divers éléments dans des proportions infiniment diverses. La gestation d’un poème ou d’un roman s’accomplit dans le cerveau producteur par une suite d’opérations plus mystérieuses et involontaires encore que la gestation de l’enfant dans les entrailles de sa mère. L’homme de génie est incapable de s’analyser lui-même avec précision et certitude. S’il est impossible d’éviter l’attrait de semblables problèmes et d’en contester l’intérêt et l’utilité, on ne saurait donc apporter dans leur étude