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MOLIÈRE.

d’une idée, ils pourront sans danger s’épancher en tirades et discours plus suivis. Mais alors même, un bourgeois et un courtisan, un maître et un valet parleront-ils du même ton, avec même syntaxe et même vocabulaire ? Les phrases de Chrysale seront-elles enchaînées, polies, distinguées comme celle de Clitandre ? Les argumentations naïves et embrouillées de Sganarelle auront-elles l’allure héroïque et tranchante des affirmations de Don Juan ? Et, dans la plupart de ces cas, lorsque la pensée a quelque originalité et quelque profondeur, toutes ces répétitions de mots, toutes ces négligences, haltes de l’attention, repos de la pensée, nécessaires à l’orateur pour donner à son auditoire le temps de se reconnaître, comme à lui-même celui de continuer, n’y sont-elles pas excusables, ou, pour mieux dire, utiles, indispensables ? Il y a bien moins de scories, de remplissage, de chevilles, de pléonasmes, il n’y en a pas du tout, si l’on veut, dans les tirades comiques de Racine et de Regnard, ces modèles de vivacité verbale et d’élégance légère : c’est la correction même. Mais les Plaideurs et le Joueur ont-ils la puissance, l’ampleur, l’éloquence chaude et généreuse qui à chaque instant, dans le Tartuffe, le Misanthrope, les Femmes savantes, soulèvent irrésistiblement le rire, l’indignation ou la sympathie ?

L’auteur comique, en outre, n’a-t-il pas le devoir de modifier parfois non seulement son style, mais son vocabulaire ? La Bruyère, comme Boileau, d’ailleurs, Fénelon, Vauvenargues, bien d’autres délicats, après eux, ne pouvaient pardonner à Molière de mettre sur la scène tant de petites gens, et