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MOLIÈRE.

instrument d’expression singulièrement aiguisé. Le seul tort de tout ce mouvement, inspiré et conduit, comme celui de la Renaissance, par une élite d’esprits trop spéciaux, était d’accentuer, de plus en plus, entre l’aristocratie et la nation, ce divorce anormal dont nos arts et nos lettres devaient si longtemps souffrir.

Sur les théâtres publics, fréquentés, depuis Richelieu, par la noblesse aussi bien que par les petites gens, on ne donnait satisfaction aux loges et au parterre que par une séparation de plus en plus hostile des genres autrefois librement associés. D’ailleurs, dans la comédie, comme dans la tragédie, depuis 1629 environ, l’effort était visible pour dégager l’action scénique des complications extravagantes de l’intrigue espagnole, par une observation plus directe et plus réfléchie des réalités environnantes. Corneille, dans ce genre aussi, avait affirmé sa valeur « sans attendre le nombre des années ». Mélite, Clitandre, la Galerie du Palais, la Place Royale, la Suivante, en plaçant, avec sincérité, le développement des sentiments amoureux chez des personnages contemporains dans leur milieu réel, avait ouvert à la comédie nationale un plus vaste champ. Cette naturelle et charmante poussée de poésie familière et mondaine fut coupée presque net, pour le fécond Rouennais, par le triomphe éclatant du Cid, d’Horace, de Cinna, Polyeucte, etc. Désormais exalté par les complications tragiques des luttes entre le Devoir et la Passion, entraîné, par le flot puissant de son éloquence virile, dans les débats politiques et moraux, il ne revint qu’en