Page:Lafargue - Le Droit à la paresse.djvu/8

Cette page a été validée par deux contributeurs.

libre-penseuse, aux épouvantables conséquences du travail dans la société capitaliste.

Dans la société capitaliste, le travail est la cause de toute dégénérescence intellectuelle, de toute déformation organique. Comparez le pur sang des écuries de Rothschild, servi par une valetaille de bimanes, à la lourde brute des fermes normandes qui laboure la terre, charriote le fumier, engrange la moisson. Regardez le noble sauvage que les missionnaires du commerce et les commerçants de la religion n’ont pas encore corrompu avec le christianisme, la syphilis et le dogme du travail, et regardez ensuite nos misérables servants de machines[1].

  1. Les explorateurs européens s’arrêtent étonnés devant la beauté physique et la fière allure des hommes des peuplades primitives, non souillés par ce que Pœppig appelait le « souffle empoisonné de la civilisation ». Parlant des Aborigènes des îles océaniennes, lord George Campbell écrit : « il n’y a pas de peuple au monde qui frappe davantage au premier abord. Leur peau unie et d’une teinte légèrement cuivrée, leurs cheveux dorés et bouclés, leur belle et joyeuse figure, en un mot, toute leur personne formaient un nouvel et splendide échantillon du genus homo ; leur apparence physique donnait l’impression d’une race supérieure à la nôtre. » Les civilisés de l’ancienne Rome, les César et les Tacite, contemplaient avec la même admiration les Germains des tribus communistes qui envahissaient l’empire romain. — Ainsi que Tacite, Salvien, le prêtre du ve siècle, qu’on surnomma le maître des évêques, donnait les barbares en exemple aux civilisés et aux chrétiens : « Nous sommes impudiques au milieu des barbares, plus chastes que nous. Bien plus, les barbares sont blessés de nos impudicités. Les Goths ne souffrent pas qu’il y ait parmi eux des débauchés de leur nation ; seuls au milieu d’eux, par le triste privilège de leur nationalité et de leur nom, les Romains ont le droit d’être impurs. (La pédérastie était alors en grande mode parmi les chrétiens)… Les opprimés s’en vont chez les barbares chercher de l’humanité et un abri. » — (De Gubernatione Dei). La vieille civilisation et le christianisme naissant corrompirent les barbares du vieux monde ; comme le christianisme vieilli et la moderne civilisation capitaliste corrompent les sauvages du nouveau monde. M. F. Le Play, dont on doit reconnaître le talent d’observation, alors même que l’on rejette ses conclusions sociologiques entachées de prudhomisme philanthropique et chrétien, dit dans son livre les Ouvriers européens (1855) : « La propension des bachkirs pour la paresse (les bachkirs sont des pasteurs semi nomades du versant asiatique de l’Oural) ; les loisirs de la vie nomade, les habitudes de méditation qu’elles font naître chez les individus les mieux doués communiquent souvent à ceux-ci une distinction de manières, une finesse d’intelligence et de jugement qui se remarque rarement au même niveau social dans une civilisation plus développée… Ce qui les répugne le plus, ce sont les travaux agricoles ; ils font tout plutôt que d’accepter le métier d’agriculteur. » L’agriculture est, en effet, la première manifestation du travail servile dans l’humanité.