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péens, grelottants de froid et de faim, refusent de porter les étoffes qu’ils tissent, de boire les vins qu’ils récoltent, les pauvres fabricants, ainsi que des dératés, doivent courir aux antipodes chercher qui les portera et qui les boira : ce sont des centaines de millions et de milliards que l’Europe exporte tous les ans aux quatre coins du monde à des peuplades qui n’en ont que faire[1]. Mais les continents explorés ne sont plus assez vastes, il faut des pays vierges. Les fabricants de l’Europe rêvent nuit et jour de l’Afrique, du lac Saharien, du chemin de fer du Soudan ; avec anxiété, ils suivent les progrès des Livingstone, des Stanley, des du Chaillu, des de Brazza ; bouche béante, ils écoutent les histoires mirobolantes de ces courageux voyageurs. Que de merveilles inconnues renferme « le Continent noir » ! Des champs sont plantés de dents d’éléphant, des fleuves d’huile de coco charrient des paillettes d’or, des millions de culs noirs, nus comme la face de Dufaure ou de Girardin, attendent des cotonnades pour apprendre la décence,

  1. Deux exemples : le gouvernement anglais, pour complaire aux paysans indiens, qui malgré les famines périodiques qui désolent le pays s’entêtent à cultiver le pavot au lieu du riz ou du blé, a dû entreprendre des guerres sanglantes, afin d’imposer au Gouvernement chinois la libre introduction de l’opium indien. Les sauvages de la Polynésie, malgré la mortalité qui en fut la conséquence, durent se vêtir et se soûler à l’anglaise, pour consommer les produits des distilleries de l’Écosse et des ateliers de tissage de Manchester.