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et le dogme du travail ? Mais il faudrait leur arracher la langue et la jeter aux chiens.

Parce que la classe ouvrière avec sa bonne foi simpliste s’est laissée endoctriner, parce que, avec son impétuosité native, elle s’est précipitée à l’aveugle dans le travail et l’abstinence, la classe capitaliste s’est trouvée condamnée à la paresse et à la jouissance forcées, à l’improductivité et à la sur-consommation. Mais, si le sur-travail de l’ouvrier meurtrit sa chair et tenaille ses nerfs, il est aussi fécond en douleurs pour le bourgeois.

L’abstinence à laquelle se condamne la classe productive oblige les bourgeois à se consacrer à la sur-consommation des produits qu’elle manufacture désordonnément. Au début de la production capitaliste, il y a un ou deux siècles de cela, le bourgeois était un homme rangé, de mœurs raisonnables et paisibles ; il se contentait de sa femme ou à peu près ; il ne buvait qu’à sa soif et ne mangeait qu’à sa faim. Il laissait aux courtisans et aux courtisanes les nobles vertus de la vie débauchée. Aujourd’hui il n’est fils de parvenu qui ne se croit tenu de développer la prostitution et de mercurialiser son corps pour donner un but aux labeurs que s’imposent les ouvriers des mines de mercure ; il n’est bourgeois qui ne s’empiffre de chapons truffés et de Laffite navigué, pour encourager les éleveurs de la Flèche et les vignerons du Bordelais. À ce métier, l’organisme se délabre rapidement, les cheveux tombent, les dents se déchaussent, le tronc se déforme, le ventre s’entripaille, la respiration s’embarrasse, les mouvements s’alourdissent,