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Mais avant d’aboutir à cette conclusion, les fabricants parcourent le monde en quête de débouchés pour les marchandises qui s’entassent ; ils forcent leur gouvernement à s’annexer des Congo, à s’emparer des Tonkin, à démolir à coups de canon les murailles de la Chine, pour y écouler leurs cotonnades. Aux siècles derniers, c’était un duel à mort entre la France et l’Angleterre à qui aurait le privilège exclusif de vendre en Amérique et aux Indes. Des milliers d’hommes jeunes et vigoureux ont rougi de leur sang les mers, pendant les guerres coloniales des xvie, xviie et xviiie siècles.

Les capitaux abondent comme les marchandises. Les financiers ne savent plus où les placer ; ils vont alors, chez les nations heureuses qui lézardent au soleil en fumant des cigarettes, poser des chemins de fer, ériger des fabriques et importer la malédiction du travail. Et cette exportation de capitaux français se termine un beau matin par des complications diplomatiques : en Égypte, la France, l’Angleterre, l’Allemagne étaient sur le point de se prendre aux cheveux pour savoir quels usuriers seraient payés les premiers ; par des guerres du Mexique où l’on envoie les soldats français faire le métier d’huissiers pour recouvrer de mauvaises dettes[1].

  1. La Justice de M. Clemenceau, dans sa partie financière, disait le 6 avril : « Nous avons entendu soutenir cette opinion, que, à défaut de la Prusse, les milliards de la guerre de 1870 eussent été également perdus pour la France et ce sous forme d’emprunt périodiquement émis pour l’équilibre des budgets étrangers ; telle est également notre opinion. » On estime à cinq milliards la perte des capitaux anglais dans les emprunts des républiques de l’Amérique du Sud. — Les travailleurs français ont non seulement produit les cinq milliards payés à M. Bismarck ; mais ils continuent à servir les intérêts de l’indemnité de guerre, aux Ollivier, aux Girardin, aux Bazaine et autres porteurs de titres de rente qui ont amené la guerre et la déroute. Cependant, il leur reste une fiche de consolation : ces cinq milliards n’occasionneront pas de guerre de recouvrement.