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dustrie de profiter des chômages pour fabriquer à meilleur marché.

Si les crises industrielles suivent les périodes de sur-travail aussi fatalement que la nuit le jour, traînant après elles le chômage forcé et la misère sans issue, elles amènent aussi la banqueroute inexorable. Tant que le fabricant a du crédit, il lâche la bride à la rage du travail, il emprunte et emprunte encore pour fournir la matière première aux ouvriers. Il fait produire, sans réfléchir que le marché s’engorge et que, si ses marchandises n’arrivent pas à la vente, ses billets viendront à l’échéance. Acculé, il va implorer le juif, il se jette à ses pieds, lui offre son sang, son honneur. « Un petit peu d’or ferait mieux mon affaire, répond le Rothschild, vous avez 20,000 paires de bas en magasin, ils valent vingt sous, je les prends à quatre sous. » Les bas obtenus, le juif les vend six et huit sous, et empoche les frétillantes pièces de cent sous qui ne doivent rien à personne : mais le fabricant a reculé pour mieux sauter. Enfin, la débâcle arrive et les magasins dégorgent ; on jette alors tant de marchandises par la fenêtre, qu’on ne sait comment elles sont entrées par la porte. C’est par centaines de millions que se chiffre la valeur des marchandises détruites ; au siècle dernier on les brûlait ou on les jetait à l’eau[1].

  1. Au Congrès industriel tenu à Berlin, le 21 janvier 1879, on estimait à 568 millions de francs la perte qu’avait éprouvée l’industrie du fer en Allemagne pendant la dernière crise.