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la hardiesse des images, et ses oreilles par la pompe et l’harmonie des périodes.

La révolution de 1789 transplanta le centre de la vie sociale de Versailles à Paris, de la cour et des salons, dans les rues, les cafés et les assemblées populaires. Les journaux, les pamphlets, les discours étaient la littérature de l’époque, tout le monde parlait et écrivait et sans nulle gêne piétinait sur les règles du goût et de la grammaire. Un peuple de mots, de néologismes, d’expressions, de tournures et d’images, venues de toutes les provinces et de toutes les couches sociales, envahirent la langue polie, élaborée par deux siècles de culture aristocratique. Le lendemain de la mort de Robespierre, les grammairiens et les puristes reprirent la férule arrachée de leurs mains et se mirent à l’œuvre pour expulser les intrus et réparer les brèches de la langue du XVIIIe siècle, ouvertes par les sans-culottes. Ils réussirent en partie ; et imitant les précieuses de l’hôtel Rambouillet, ils châtrèrent la langue parlée et écrite de plusieurs milliers de mots, d’expressions qui ne lui ont pas encore été restitués. Heureusement que Chateaubriand, suivant l’exemple donné par les royalistes des Actes des apôtres qui avaient soutenu le trône et l’autel dans le langage des halles, défendit, au grand scandale des puristes, la réaction et la religion avec la langue et la rhétorique enfantées par la révolution. Le succès d’Atala, du Génie du christianisme et des Martyrs fut immense. L’honneur d’avoir dans ce siècle, non pas créé, mais consacré littérairement la langue romantique appartient à Chateaubriand, qui fut le maître de Victor Hugo.