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la Colonne, il obéissait au mot d’ordre donné par le parti royaliste. Les Débats l’insérèrent à leur troisième page.

Il serait difficile, si on ne connaissait les mœurs du temps et les qualités de la famille Hugo, de comprendre qu’un jeune homme, fût-il de génie, put posséder d’une manière si parfaite, l’art de se contenir et de dissimuler ses sentiments.

Les régimes politiques s’étaient succédés depuis 1789, avec une rapidité si vertigineuse, que l’art de renier ses opinions et de saluer le soleil levant, était cultivé comme une nécessité de la lutte pour l’existence[1]. La famille Hugo excella dans cet art précieux. Quelques détails biographiques sur le général Hugo et sur son fils aîné, Abel, diminueront peut-être l’admiration des hugolâtres pour le génie machiavélique de leur héros ; mais permettront au psychologue de s’expliquer comment tant de diplomatie pouvait se loger dans un si jeune cerveau.

Brutus Hugo, le farouche républicain de 1793, qui pourvoyait de chouans et de royalistes les pelotons d’exécution et la guillotine, fructidorise le Corps législatif avec Augereau, prend du service dans le palais

  1. Les amateurs d’acrobatie politique trouveront dans le Dictionnaire des Girouettes de Prosny d’Eppe et dans le Nouveau Dictionnaire des Girouettes de 1831, de quoi exciter leur admiration la plus exigeante. Ils s’étonneront avec Chateaubriand « qu’il y ait des hommes, qui après avoir prêté serment à la République une et indivisible, au Directoire en cinq personnes, au Consulat en trois, à l’Empire en une seule, à la première Restauration, à l’acte additionnel, à la seconde Restauration, ont encore quelque chose à prêter à Louis-Philippe ». – « Hé, hé, disait en souriant Talleyrand, après avoir prêté serment à Louis-Philippe, Sire, c’est le treizième ! ».