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vation des jouissances intellectuelles et matérielles qu’on leur imposait ; les plus hardies allèrent jusqu’à réclamer l’amour libre et à s’affilier aux sectes socialistes qui prêchaient l’émancipation de la femme[1]. Les philosophes et les moralistes eurent la naïveté de croire qu’ils arrêteraient le mouvement féministe en lui opposant l’intérêt sacré de la famille, qu’ils déclaraient ne pouvoir subsister sans l’assujettissement de la femme aux travaux du ménage, à la pose des boutons de chemise, au raccommodage des chaussettes etc., elle devait se dévouer à ces obscures et ingrates besognes, pour que l’homme pût librement déployer et parader ses brillantes et supérieures facultés ; ces mêmes sages, qui sermonnaient les bourgeoises révoltées sur le culte de la famille, chantaient les louanges de l’industrie capitaliste, qui en arrachant la femme au foyer domestique et au berceau de l’enfant pour lui infliger les travaux forcés de la fabrique, détruit la famille ouvrière.

Les dames bourgeoises se moquèrent des prédications aussi imbéciles que morales de ces graves Tartufes, elles continuèrent leur chemin et arrivèrent au but qu’elles se proposaient ; ainsi que la patricienne de la Rome antique et que l’aristocrate du xviiie siècle, elles se sont débarrassées des soucis du ménage et de l’allaitement de l’enfant sur des mercenaires, pour se consacrer tout entières à la toilette, afin d’être les poupées les plus luxueusement parées du monde capitaliste et afin de faire

  1. Le manifeste Saint-Simonien de 1830 annonçait que la religion de Saint-Simon venait « mettre fin à ce trafic honteux, à cette prostitution légale qui sous le nom de mariage consacre fréquemment l’union monstrueuse du dévouement et de l’égoïsme, de la lumière et de l’ignorance, de la jeunesse et de la décrépitude ».