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les gains du père de famille sont tombés si bas, que les enfants, — les filles comme les garçons — sont forcés de gagner leurs moyens d’existence dans le

    est remis et constitue sa dot, que ses parents prennent l’habitude de doubler. Dès l’instant que l’épouse entre dans la maison du mari avec une dot, elle cesse d’être une esclave qu’il pouvait renvoyer, vendre et tuer. La dot, hypothéquée à Rome et à Athènes sur les biens du mari, devait en cas de répudiation ou de divorce lui être restituée de préférence à toute créance. « On ne jouit pas des richesses qu’une femme apporte dans le ménage, dit un fragment d’Euripide, elles ne servent qu’à rendre le divorce difficile. » Les auteurs comiques raillent les maris, qui sous le coup d’une action dotale, tombent dans la dépendance de l’épouse. Un personnage de Plaute dit à un mari qui récrimine contre sa femme : « Tu as accepté l’argent de la dot, tu as vendu ton autorité, — imperium. » Les riches matrones romaines poussaient l’insolence jusqu’à ne pas confier la gestion de leur dot au mari ; elles la donnaient à des intendants, qui parfois remplissaient auprès d’elles un autre emploi, dit Martial, cette mauvaise langue.

    L’adultère de la femme entraînait de droit le divorce et la restitution de la dot, mais plutôt que d’arriver à cette douloureuse extrémité, les maris préféraient fermer les yeux sur les fredaines de leurs épouses : la loi dut à Rome et à Athènes les frapper pour les rappeler à la dignité maritale ; en Chine on leur applique un certain nombre de coups de bambou sur la plante des pieds. Les pénalités ne suffisent pas pour encourager les Romains à répudier leurs femmes adultères, la loi, afin de relever la vertu masculine, permit à ceux qui dénonçaient l’infidélité de leur femme de retenir une partie de la dot : il y eut alors des hommes qui ne se mariaient qu’en prévision de l’adultère de leur épouse. Les dames romaines tournèrent la loi en se faisant inscrire chez le censeur sur la liste des prostituées, à qui elle ne s’appliquait pas. Le nombre des matrones inscrites devint si considérable que le Sénat, sous Tibère, rendit un décret interdisant « aux dames qui avaient un chevalier pour aïeul, père ou mari, de faire trafic de leur corps ». (TaciteAnnales, II, 85.) L’adultère féminin dans la société patricienne de l’antiquité ainsi que dans la société aristocratique du XVIIIe siècle, s’était tellement généralisé qu’il était pour ainsi dire entré dans les mœurs : on l’envisageait plaisamment comme un correctif et un complément du mariage.