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production sociale pour l’émanciper, mais pour l’exploiter encore plus férocement que l’homme ; aussi s’est-on bien gardé de renverser les barrières économiques, juridiques, politiques et morales, qu’on avait dressées pour la cloîtrer dans la demeure maritale. La femme, exploitée par le Capital, supporte les misères du travailleur libre et porte en plus ses chaînes du passé. Sa misère économique est aggravée ; au lieu d’être nourrie par le père ou le mari, dont elle continue à subir la loi, elle doit gagner ses moyens d’existence ; et sous prétexte qu’elle a moins de besoins que l’homme, son travail est moins rémunéré ; et quand son travail quotidien dans l’atelier, le bureau ou l’école est terminé, son travail dans le ménage commence. La maternité, le travail sacré, la plus haute des fonctions sociales, devient dans la société capitaliste une cause d’horribles misères économiques et physiologiques. L’intolérable condition de la femme est un danger pour la reproduction de l’espèce.

Mais cette écrasante et douloureuse situation annonce la fin de sa servitude, qui commence avec la constitution de la propriété privée et qui ne peut prendre fin qu’avec son abolition. L’humanité civilisée, sous la pression du mode mécanique de production, s’oriente vers une société, basée sur la propriété commune, dans laquelle la femme, délivrée des chaînes économiques, juridiques et morales qui la ligotent, pourra développer librement ses facultés physiques et intellectuelles, comme au temps du communisme des sauvages.

Les sauvages, pour interdire la promiscuité primitive et restreindre successivement le cercle des relations sexuelles, n’ont trouvé d’autre moyen que de séparer les sexes ; l’on a des raisons pour supposer que ce furent les femmes qui prirent