Page:Lafargue - La Question de la femme, 1904.djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.

développement, ne peut y contribuer d’une manière aussi efficace. L’immobilité sénile dans laquelle végète la Chine depuis plus d’un millier d’années ne peut être attribuée qu’à la dégradation de la femme, à qui on a été jusqu’à mutiler cruellement les pieds afin de l’emprisonner plus étroitement dans le gynécée. L’Europe, elle aussi, souffre de l’infériorisation de la femme, puisque malgré les extraordinaires progrès matériels de ces deux mille dernières années et la croissante et non moins extraordinaire accumulation de connaissances scientifiques, on ne saurait prétendre que le cerveau du civilisé moderne dépasse en puissance et en capacité celui des grecs de l’époque classique, qui s’étend du septième au quatrième siècle avant l’ère chrétienne. Il est certain qu’un Victor Hugo, un Zola, un bachelier ou un docteur quelconque, ont emmagasiné dans leur cervelle une abondance de notions positives et diverses que ne possédaient pas Eschyle, Anaxagoras, Protagoras et Aristote, mais cela ne prouve pas que leur imagination et leur intelligence, ainsi que celles de leurs contemporains, soient plus riches, plus variées et plus vastes que celles des générations de l’Ionie et de l’Attique, qui furent les ouvriers de cette incomparable éclosion et floraison de sciences, de philosophies, de littérature et d’arts, la merveille de l’histoire et qui se livrèrent à cette débauche d’esprit subtil et paradoxal de la philosophie sophistique, dont on n’a pas revue la pareille. Les sophistes — Protagoras, Gorgias, Socrate, Platon etc. — posèrent, discutèrent et résolurent les problèmes de la philosophie spiritualiste et bien d’autres encore : cependant les Hellenes d’Asie-mineure et de Grèce sortaient de la barbarie à peine depuis quelques siècles. On peut invoquer de nombreuses raisons