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Jupiter, le « dieu des pères » comme l’appellent Homère, Hésiode et Eschyle, après avoir chassé de l’Olympe les divinités féminines, y intronisa le patriarcat, qui depuis quelques générations avait été établi sur terre : le ciel religieux reflète toujours les mœurs terrestres, comme la lune réfléchit la lumière du soleil. Mais Jupiter, qui ainsi que tout barbare, savait se servir de ses poings, (Illiade XV 228), qui se vante d’être le plus fort des dieux et qui pour les dompter avait à côté de son trône deux serviteurs, la Force et la Violence toujours prêts à obéir à ses ordres, était peu préparé par ses qualités intellectuelles pour remplacer la femme dans le gouvernement de la famille olympienne ; afin de suppléer aux capacités qui lui faisaient défaut, Hésiode raconte qu’il épousa Métis, « la plus sage des hommes et des dieux ». Le sauvage et le barbare, pour s’incorporer le courage d’un ennemi, dévorent son cœur pantelant ; Jupiter avala Métis pour s’assimiler sa ruse, sa prudence et sa sagesse, car son nom possède ces diverses significations dans la langue grecque : ces qualités étaient considérées l’apanage de la femme.

Mais l’assimilation prit du temps à se faire, si l’on en juge par la mauvaise farce que lui joua Prométhée : il tua et dépeça un bœuf énorme ; dans un tas il plaça les chairs, qu’il recouvrit de la peau, sur laquelle il déposa les entrailles ; dans un autre tas il mit les os décharnés qu’il cacha adroitement sous des paquets de graisse. — « Tu as fait bien mal les parts » lui dit le Père des dieux et des hommes. — « Très glorieux Jupiter, le plus grand des dieux vivants, prends la part que ta sagesse te conseillera de choisir » répliqua l’astucieux Prométhée. Le maître des cieux, n’écoutant que sa gloutonnerie, souleva à deux mains le paquet de graisse au milieu