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le docteur gilbert.

— Ma vue te fait souffrir, pauvre Mathilde !… mais prends courage… tu ne me verras plus long-temps… De grâce, ne me repousse pas… Laisse-moi à tes pieds quelques momens encore… ce n’est pas une grande faveur… Tu vas être vengée… au delà de tes vœux peut-être… Je vais mourir !…

Et ce dernier mot fut suivi d’un gémissement lugubre qui fit tressaillir Mathilde. Glacée tout à coup d’un pressentiment terrible, elle se penche vers Anatole et le regarde fixement…

Une sueur froide coulait à grosses gouttes du front d’Anatole ; les muscles de son visage étaient violemment contractés, un cercle bleuâtre environnait ses yeux ternes et languissans ; ses lèvres étaient violettes et pleines d’écume.

— Anatole ! Anatole !… s’écrie-t-elle avec épouvante, qu’as-tu fait ?…

— Je me suis puni ! murmura Anatole,

Et sa voix ressemblait à un râle.

— Malheureux !… comme ta figure se décompose !… Dieu ! qu’est-ce donc ?

— C’est la mort ! répond Anatole couché par terre et sans mouvement.

— Ah !

Et déjà Mathilde a saisi dans ses bras Anatole, et tâche de le soulever : mais elle n’en a pas la force ; elle tombe avec lui sur le parquet.

— Anatole !… au nom du ciel !… relève-toi !

— Écoute, Mathilde !… je n’ai plus qu’une minute à vivre peut-être… J’ai bu du poison !

— Malheureux !

— C’est un poison qui ne pardonne pas, Mathilde ! reprit Anatole en essayant, mais en vain, de se soutenir sur un coude ; rien ne peut me sauver maintenant, il est trop tard. Écoute, je sens déjà le froid de la mort dans mes veines… les battemens de mon cœur se ralentissent… — Oui, je me suis puni… À peine ai-je eu fait le crime, que j’ai songé tout de suite au châtiment… Je ne voulais paraître devant toi, Mathilde, que pour embrasser tes pieds et mourir… Ah ! ah ! voici la mort qui vient…

Ses yeux roulaient affreusement dans leur orbite et devenaient blancs ; ses mains se tordaient, ses bras convulsivement crispés trahissaient d’horribles souffrances.

Mathilde le regardait d’un œil effaré, stupide ; elle pleurait, criait, sanglotait, aussi pâle, aussi froide que le moribond. Elle était comme folle. — Dieu ! Dieu ! l’insensé… qu’a-t-il fait ? disait-elle en levant les mains et courant par toute la chambre ; mais peut-être y a-t-il encore du remède… Mariane !… Mariane !…

— Non ! non ! n’appelle pas… c’est inutile, murmura Anatole ; il n’y a pas de remède, te dis-je… Et puis, je veux mourir… Je suis trop coupable !…

— Mariane ! Mariane !…continuait Mathilde en agitant la sonnette de toute sa force.

Mariane accourut.