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le docteur gilbert.

Il ne m’aime plus ! retentirent plus douloureusement dans son âme, et ne firent qu’accroître la violence de son désespoir.

Et voilà ce qu’elle se mit à dire dans le fond de son cœur :

— Si jeune, si jeune !… et déjà tant souffrir !… Moi qui croyais au bonheur !… Il y a moins d’une année, que j’étais si heureuse !… Non, Anatole est perdu pour moi… c’en est fait… il ne m’aime plus… Il a beau me répéter encore de temps à autre qu’il m’aime comme au premier jour, que je lui suis peut-être encore plus chère… c’est par un reste de compassion qu’il dit cela… Mais ce n’est pas une femme qu’on peut abuser… D’ailleurs, ne m’aperçois-je pas que depuis quelque temps ma présence le gêne ?… Par momens, il a l’air de vouloir me fuir… et puis, quand nous sommes seuls, il est distrait, préoccupé… quand je lui parle et que je le conjure de me confier ses chagrins, c’est à peine s’il me répond… Il me cache un secret… Oui, souvent, quand je me plains de sa froideur, il me prend dans ses bras et m’arrose de larmes, en me suppliant de lui pardonner… Puis je crois un instant qu’il va tout me dire… Au moins si l’on m’avait laissé mon enfant, mon pauvre enfant !… il m’aurait donné du courage pour supporter l’indifférence d’Anatole !… mais ils me l’ont enlevé… ils m’ont refusé la triste consolation de le nourrir !… Anatole, Anatole… maintenant quand je te regarde, je doute si c’est toi… Hélas ! et moi-même, je suis donc bien changée ?… la souffrance a donc bien décoloré, vieilli mon visage ?… Oui, malheureuse, je ne puis me faire illusion… il me trouve laide à présent !… Ah ! pourquoi l’amour des hommes est-il si fragile et si court ?… ou plutôt, pauvres femmes, pourquoi ne sommes-nous pas toujours belles ?…


II.


Pendant que Mathilde se livrait à ces désolantes pensées, la femme de chambre rentra.

Mariane avait la figure toute couverte de larmes ; mais avant que sa maîtresse n’eût tourné la tête vers elle, la pauvre fille releva le bord de son tablier de taffetas noir pour s’essuyer les yeux ; toutefois, elle ne put retenir un sanglot, que sa maîtresse entendit.

— Eh bien ! Mariane, demanda vivement madame de Ranval, as-tu vu Anatole ?

— Oui, madame, répondit Mariane d’un accent altéré, j’ai frappé bien long-temps à la porte du cabinet de monsieur sans qu’il m’ouvrît ; enfin, comme j’appelais à travers la porte, il reconnut ma voix et me demanda un peu vivement ce que je voulais… Par bonheur il venait d’arriver une lettre pour M. de Ranval…

— Une lettre ? interrompit Mathilde.

— Je le dis à monsieur, continua Mariane, et presque au même instant ce cher Anatole vint m’ouvrir !… Ah ! madame… madame, si vous l’aviez vu !…

— Grand Dieu ! Mariane, explique-toi ! tu pleures ?…

— C’est plus fort que moi, madame… Ce cher Anatole !

— Il souffrait donc, Mariane ? s’écria Mathilde.

— Oh ! oui, madame, il souffre, j’en suis sûre ; mais il n’a jamais voulu en convenir : il était pâle, et toute sa physionomie exprimait la douleur et l’abattement.

Et Mariane se laissa tomber tout en pleurs dans un fauteuil auprès de sa maîtresse, qui demeura quelques momens silencieuse, et reprit d’une voix profondément émue :