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le docteur gilbert.

— N’importe, Mariane, dit madame de Ranval, nous sommes peu curieux de le savoir.

— Au contraire, au contraire, interrompit vivement Anatole, tâche de te rappeler le nom de cette dame, Mariane ; je tiens à le connaître.

— Ah ! j’y suis, monsieur, dit Mariane, c’est madame Villemont. En faisant hier votre chambre à coucher, j’ai aperçu un instant cette dame à une fenêtre qui est en face de la vôtre ; elle m’a regardée avec assez d’attention. C’est une fort belle femme, à ce qu’il m’a semblé, brune, d’une figure italienne…

— Tu ne m’avais pas dit cela, Mariane, interrompit madame de Ranval, dont la physionomie devint tout à coup grave et soucieuse. Ainsi donc cette dame occupe l’appartement de M. de Ronsoff ?…

— Oui, madame, répartit Mariane, et je ne le sais moi-même que depuis avant-hier. Comme cette dame a pris l’appartement tout meublé, il n’y a pas eu d’emménagement, et c’est à peine si l’on a remarqué son entrée dans la maison.

— Est-ce une femme mariée ? demanda M. de Ranval avec une espèce d’hésitation.

— Oui, monsieur, répondit Mariane, je crois me rappeler que le portier me l’a dit.

— Ce n’est pas elle, pensa Anatole.

Et Mathilde, ne pouvant comprendre une pareille curiosité de la part d’Anatole, se disait à elle-même :

— Que lui importe cette femme inconnue ?… Pourquoi ces questions puériles ?… Est-ce pour me donner le change, et me cacher ce qu’il pense ?…

Puis, s’approchant de Mariane, elle lui dit à voix basse :

— Je t’en prie, Mariane, laisse-nous seuls un moment.

Mariane sortit de la chambre sans qu’Anatole s’en aperçût.

Mathilde prit la main d’Anatole qui se laissa conduire machinalement, et l’un et l’autre ils s’assirent sur un canapé.

— Anatole, mon ami, dit madame de Ranval après quelques momens de réflexion et de silence, tu ne me parles pas de notre enfant… Tu as pourtant reçu une lettre de ton père ?

— Oui, Mathilde, répondit Anatole qui parut sortir de la rêverie où il était plongé, je pars aujourd’hui même pour Fontainebleau. Mon père m’annonce que notre enfant ne se porte pas bien.

— Dieu ! s’écria Mathilde en changeant de couleur, montre-moi cette lettre !… Tu n’avais pas dit cela à Mariane.

Et déjà elle avait parcouru des yeux la lettre que venait de lui donner son mari. Le papier tremblait dans sa main, et sa physionomie exprimait l’inquiétude.

— Voilà déjà plusieurs jours qu’il souffre, ce pauvre petit chérubin ! dit-elle avec émotion : il a la fièvre ! tous ces symptômes me paraissent alarmans… Anatole, je partirai avec toi ; je veux soigner moi-même ce cher enfant.

— Non, Mathilde, répondit Anatole en la serrant avec force contre sa poitrine, tu n’es pas en état de m’accompagner : songe que tu es à peine convalescente. Le temps est effroyable, et tu souffrirais beaucoup sur la grande route.

— Mon chéri, je serai près de toi !… Et puis il y a si long-temps que je n’ai embrassé mon fils… Hélas ! je ne suis plus sa mère… une autre que moi le nourrit… je veux le voir !… Anatole, je t’en conjure, laisse-moi t’accompagner !…

— Mais je ne serai que vingt-quatre heures absent, ma chère Mathilde ! après-demain au plus tard je te donnerai des nouvelles de ton enfant. Mais, en vérité, je ne puis te laisser partir : songe qu’il te faudrait passer la nuit en voiture ; et par ce froid, ce serait de la dernière imprudence !