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L’ONCLE ISIDORE

dance, ni la force de s’y acheminer par le travail, cette émancipation, souvent lente, mais toujours sûre.

Lui qui avait été si courageux pendant la lutte journalière contre la misère, il ne tentait plus aucun effort : cela eût dérangé sa pensée dans son vol vers les chimères. Il se grisait à ces plaisirs de l’esprit, à ces courses intellectuelles à travers les mondes impossibles, et comme les fumeurs d’opium, il ne voulait point s’arracher à sa contemplation ni à son immobilité, y trouvant un bonheur qui l’avait fui jusque-là.

Malgré le grand air, malgré le bien-être matériel au milieu duquel il vivait, et quoiqu’il eût rompu avec toute espèce de travail, sa santé ne revenait pas ce qu’elle avait été autrefois. La tête usait le corps.

Il avait beau sentir qu’il s’anéantissait dans ces jouissances excessives, il avait pris un tel dégoût de la vie, qu’il ne voulait rien tenter pour se rattacher à ce qui lui plaisait si peu.

Ce n’était pas qu’il fût blasé ; ce n’était pas qu’il dédaignait les plaisirs et les distractions de son âge ; ce n’était pas non plus qu’il fît peu de cas des femmes, de l’amour des jeunes hommes et des jeunes sympathies. Il ne portait pas un esprit fort sous un front de vingt ans, loin de là.

Le pauvre enfant ressemblait plutôt à ces indigents qui contemplent de loin les sébiles pleines d’or étalées derrière le grillage des changeurs et qui, le gousset parfaitement vide, baissant leurs paupières sur leurs yeux éblouis, s’en vont emportant du sable d’or plein leur cerveau, sable précieux que rien n’éparpille, ni les besoins de la vie, ni les désirs, ni les dépenses folles qu’en