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L’ONCLE ISIDORE

tourait son ami, pas un cri, pas un aboiement ne trouvait place. Lui, si bruyant d’habitude, avait des caresses muettes. Ses mouvements étaient, semblait-il, mesurés de façon à ne toucher aucun meuble, à ne rien heurter autour de lui. De temps à autre, son regard tourné vers la porte par laquelle Mme Daubrée venait de sortir, indiquait une certaine crainte de la voir apparaître de nouveau.

Cette allure inquiète au milieu même de la joie, n’échappa point à Étienne ; elle le rappela à la vérité de sa situation dans la maison de l’oncle Isidore.

Son jugement avait pu s’endormir un moment, bercé par l’affection douce et calme de la grand’mère, et par sa rentrée dans ce logis dont la misère ne s’était jamais approchée ; mais rien n’avait effacé de la mémoire du chien les coups de canne dont on l’accueillait à la Chartreuse, lorsqu’il tentait d’y rejoindre son ami. Il n’avait pas oublié non plus l’impuissance d’Étienne à le protéger.

Dans sa sagesse de bête, il mettait sa vieille expérience à profit, substituait sa finesse à la place de la foi dans les autres, se servait de ses yeux, de ses oreilles, de son nez, pour se mettre en garde contre une arrivée ennemie et soudaine ; il était prêt à se cacher encore sous le lit, plutôt que d’affronter de nouveau des cris ou des coups : car il avait, dans sa philosophie, fait abandon de ce qu’on appelle « la dignité, » et pensait que le bonheur doit se payer de beaucoup de choses. Au demeurant, tâchant d’être le plus habile puisqu’il savait, pour l’avoir tristement éprouvé, qu’il n’était pas le plus fort. Lou-Pitiou s’en donnait à cœur joie, mais silencieusement, de caresser son ami.