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L’ONCLE ISIDORE

ce que je crains d’être appelé à souffrir longtemps encore.

— Mais que t’a-t-il manqué, malheureux enfant ? ne put s’empêcher de dire encore Mme Daubrée, dont l’étonnement n’avait plus de bornes.

— Tout, reprit Étienne. Tout, répéta-t-il d’une voix si grave et si convaincue, que cela fit ouvrir de grands yeux à la bonne dame.

— Je ne vous parlerai que des choses matérielles ; les autres sont du nombre des plaies secrètes : tant pis pour ceux qui en sont affligés. Les solitudes du cœur, les besoins de l’esprit, cela ne doit pas compter parmi les souffrances. Les gens raisonnables, les êtres sensés, comme mon oncle Isidore par exemple, lèveraient les épaules à les entendre énumérer.

Passons donc c’était affaire à moi de ne pas laisser mon esprit acquérir des appétits au-dessus de ses ressources et de régenter un cœur assez malappris pour se plaindre de ses solitudes, quand il ne manque pourtant pas de monde autour de lui.

— Je ne te comprends pas, dit tout doucement Mme Daubrée.

— Et c’est là votre excuse, ma pauvre mère, reprit le jeune homme ; aussi vais-je vous entretenir de mes douleurs réelles celles-là, vous pourrez les toucher du doigt, et m’écouter sans étonnement. Ce sont des plaies d’argent : vous serez compétente en cette matière !

Mme Daubrée leva sur son fils un regard affectueux et triste au fond duquel il y avait comme un reste de reproche. Étienne découvrit facilement cette nuance quelque légère qu’elle fût. Il continua néanmoins sans rien perdre de l’amertume qu’il y avait dans sa voix.