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L’ONCLE ISIDORE

la bienvenue, et quand on sait qu’aucune main amie ne nous attend pour presser la nôtre, on retarde comme à dessein le moment où la déception se touchera du doigt.

Aussi Étienne marchait-il lentement, s’abandonnant à l’atmosphère humide, laissant son esprit nager en pleine tristesse.

Il descendit les fossés, longea la grande rue et gagna le pont. Tout le long de sa route des réverbères huileux, gras, aux vitres empâtées, indiquaient, comme à regret, la route à suivre, au milieu de l’ombre épaisse.

Quand il fut sur le pont, ses yeux habitués à ce manque de lumières, commencèrent à distinguer les objets dans la nuit. Il s’accouda sur le parapet et regarda vers les jardins qui s’étendent des deux côtés de la rivière.

Il eut bientôt reconnu la Chartreuse dont les murailles blanches perçaient la brume opaque. Une petite lumière éclairait faiblement une des fenêtres et sa lueur tremblotante arrêta longtemps ses regards.

On n’a jamais vingt ans impunément : dans un coin de la cervelle la plus sage, il se loge toujours une espérance ou un regret, et la femme, même sans y avoir passé, y laisse toujours son ombre.

En face de ce grand carré noir qui faisait le jardin, en face de cette masse blanche qui faisait la maison, Étienne se rappela le froid silence du logis, le calme et l’ombre des grandes allées. Il songea à ces belles fleurs de pommiers toutes rosées, à ces amandiers neigeux, et se dit à demi-voix :

— Quel doux nid cela ferait pour y être aimé, pour y être heureux !