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L’ONCLE ISIDORE

étrangers ni par la flatterie des siens ; son jugement était exempt de tout entraînement, de toute passion, de toute envie. Patient en face d’un travail, comme le sauvage pour lequel le temps est une chose sans valeur, il n’avait jamais compris des phrases de ce genre : « Dépêchez-vous de jouir pendant que vous êtes jeune. »

Pour lui le bonheur était de tout temps : il n’avait pas les désirs emportés des enfants de son âge. La solitude, le travail, la pensée, la pauvreté surtout, l’avaient fait assez fort pour que sa volonté ne s’usât point en caprice ; il voulait et ne désirait pas.

Quand il était venu à Paris pour y faire ses études de droit, il n’avait reculé ni devant le labeur ni devant la misère, parce qu’il avait entrevu l’indépendance au bout de tout cela et qu’il voulait être indépendant.

La lettre de sa grand’mère renversa toutes ses espérances comme fait un enfant d’un château de cartes. « Reviens tout de suite, » disait-elle. — Quitter ses études, quitter Paris, n’était-ce pas perdre le fruit de ces trente mois si péniblement passés ? N’était-ce pas rompre avec cet avenir de liberté en vue duquel il avait déjà tant souffert, pour lequel il se sentait encore capable de souffrir beaucoup ?

En proie à un profond découragement, il s’abandonna lui-même après avoir détourné les yeux de son avenir. Il savait quel intérieur l’attendait à Candelair, et il frémissait en pensant à la vie qui allait lui être faite.

L’indifférence de son oncle et la tendresse prêcheuse de sa grand’mère ne lui laisseraient plus une heure de liberté, une de ces heures précieuses que la misère même ne refuse pas et pendant lesquelles notre esprit nous