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LE SECRÉTAIRE DU MINISTRE

Le plaisir a tué en lui non-seulement le bonheur, mais encore la faculté d’être heureux. Et pour avoir été rassasié trop vite, il en a perdu l’appétit à tout jamais.

Il a été arraché de sa route pour être transplanté brusquement dans une serre chaude, où ses sentiments et ses forces ont donné, sous une volonté savante, et en un laps de temps restreint, tout ce qu’ils pouvaient donner, et maintenant qu’il est rendu à l’air extérieur et libre, il ne peut, il ne sait plus y vivre.

Il vient de tenter la dernière épreuve, et après le baiser donné à Mariette, il relève froidement la tête, il regarde autour de lui.

Tout y est debout, tout y est fleuri, tout y est jeune, la table est encore mise pour le banquet charmant de l’existence, lui seul il a perdu le goût de toutes ces choses, en même temps que le désir de vivre.

Maintenant il n’y a plus d’hésitation dans sa pensée, plus de tâtonnements dans ses réflexions, plus de regrets en face de quoi que ce soit ; il vient de voir nettement la vérité, il a bu la dernière larme du dégoût de l’existence et du désenchantement des choses créées. L’amertume de la vie vient d’enfieller ses lèvres à toujours.

— À table ! les enfants, cria la nourrice du bout du jardin.

— Faisons bon visage jusqu’à la fin, pensa l’homme d’État, l’homme du monde, qui venait de reconquérir sa triste puissance sur le sauvage qu’il avait en vain tenté de faire sortir, comme Lazare, plein de vie, de son tombeau.

Il prit la main de Mariette et l’on fut déjeuner.

Lou-Pitiou avait sa grande écuelle de lait qui se dé-