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LA PERLE DE CANDELAIR

que madame gémissait, à l’ombre du foyer désert, sur le luxe et le bien-être, qui prenaient tous les chemins de traverse pour s’en aller à mal, fort loin d’elle.

J’ai vu parfois — en vivant longtemps on est appelé à voir tant de choses !

J’ai vu, mon cher Étienne, des gens de rien, sans talent, sans savoir, sans dignité, sans conscience, mais surtout sans vergogne et sans pudeur, faire très-bien leurs affaires.

J’ai vu des gens donner leur vie pour leur idée, pendant que les ambitieux et les meneurs prenaient la vie des simples avec l’idée des autres, le tout à leur plus grand honneur et bénéfice.

J’ai vu des sots jouir d’énormes réputations d’esprit, pendant que des esprits vraiment remarquables passaient pour des ineptes et pour des idiots.

J’ai vu de très-honnêtes femmes, honnêtes dans l’entière et complète acception du mot, traitées et réputées comme des coquines, pendant qu’on saluait jusqu’à terre et que l’on traitait comme de saintes personnes des filles immondes.

Oui, mon cher Étienne, reprit le marquis, après un moment de silence, j’ai vu des masses de choses, toutes plus étranges les unes que les autres ; j’ai commencé par en être indigné et, comme vous, j’ai, du fond du cœur, jeté l’anathème à cette vilenie morale qui ronge le monde comme un cancer.

Puis, en voyant que le monde s’accoutumait très-bien de cet état de choses, mon indignation a lavé ses teintes accentuées au courant de l’indifférence et de l’habitude, alors je n’ai plus eu à ma disposition qu’un étonnement