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LE SECRÉTAIRE DU MINISTRE

comme un cœur trop puissant auquel l’air appauvri des villes ne pouvait suffire ? Ah ! Étienne, que vous avez changé ! si fort changé, que je ne vous reconnais plus !

— Eh ! c’est vous, ma chère Hélène, reprit amèrement M. Jussieux ; c’est bien vous qui me reprochez d’avoir laissé mon cœur sur la montagne ?

— Oui, dit-elle, à coup sûr, c’est moi, puisque c’est ainsi que vous m’aimiez, n’ai-je pas le droit de m’en plaindre quand je vois que vous ne m’aimez plus ?

— Vous êtes le seul esprit au monde, continua Étienne, qui n’avez pas le droit de vous plaindre, pas plus que de vous étonner, de mon changement, puisque cette transformation est votre œuvre, à vous, à vous seule, car personne autre que vous n’aurait eu la puissance de faire de votre sauvage ce que vous vous êtes plu à en faire.

— N’est-ce pas étrange, fit d’un air incrédule Mme Hélène, que je sois moi-même l’artisan de mon malheur !

— Si malheur il y a, oui, reprit Étienne, un peu vivement, n’est-ce pas vous, Hélène, qui m’avez ôté, une à une, toutes mes folles ardeurs d’esprit, toutes mes étrangetés d’allures, sous prétexte que cela était inconvenant, et qu’on ne devait ni agir ni penser de la sorte ?

Mme Malsauge, au lieu d’écouter Étienne avec son esprit, lui prêtait avec son cœur une attention soutenue ; aussi de grosses larmes roulaient-elles sous sa paupière, et le soin qu’elle prenait de les cacher lui était une peine de plus.

— Oui, continua M. Jussieux, je suis un homme du monde ; mais je ne le suis que parce que vous l’avez voulu. Rappelez-vous donc un peu les heures du passé,