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L’ONCLE ISIDORE

— Ma foi ! ma mère, dit vivement Mariette, à la Chartreuse on ne m’a jamais fait manger à la cuisine ! Moi, je suis sensible à cela. Ce n’est pas par vanité, mais enfin cela fait plaisir. Puis, M. Letourneur, tout comme M. Étienne, me tirent leur chapeau dans la rue quand ils me rencontrent ; c’est toujours pas par vanité, ce que j’en dis, mais ça flatte, d’autant que tout le monde n’en fait pas autant. Voilà pourquoi je les aime.

— Elle a raison la fille, dit le portefaix qui se sentait réellement flatté aussi.

— D’un autre côté, quand je rentre le soir Lou-Pitiou m’amuse, il nous tient compagnie. J’aime les bêtes, moi. Après ! comme dit ma mère, on est maître de ses goûts, et ma foi on n’est pas dans ce monde pour se refuser tous les plaisirs.

— Tu as raison, mignonne, fais-en à ta guise, dit la marchande. Ce n’est pas ta mère qui te contrariera. Au reste, ce serait dommage de ne pas lui donner la soupe à cette bête, car ça lui profite joliment : elle brille comme un satin depuis quelque temps.

Étienne en avait assez entendu. Il se retira doucement et rentra tout songeur à la Chartreuse.

Lui, le futur héritier de l’oncle Isidore, il enviait à l’ouvrière le droit d’agir à sa guise, le droit de donner une écuelle de soupe au Pitiou ! Il était reconnaissant en même temps que honteux, car il ne se trompait pas à cet amour des bêtes dont s’accusait Mariette. C’était pour lui, rien que pour lui, que la jeune fille nourrissait et soignait son chien.

Il se sentait en face d’elle sous le coup d’une charité