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vendredi 2 septembre. — 1870.

de son corps. Aussi, m’a-t-il demandé aussitôt une grande table pour étaler ses registres et travailler à ses comptes, besogne dans laquelle il est aidé par deux ou trois soldats qui lui servent de commis, que je ne loge pas, il est vrai, mais qui ajoutent à l’encombrement de mon pauvre petit domicile. Force est pour ma mère et pour moi de nous réfugier dans des coins, et de laisser à l’étranger le plus beau de notre appartement.

Je me console de ces maux, en considérant qu’il en est d’autres dont je n’ai pas à souffrir. Ainsi, me trouvant cet après-midi sur la place, je vois une file de gens se dirigeant vers l’Hôtel-de-Ville, portant qui un sabre, qui une épée, qui des pistolets, fusils de chasse ou de munition, armes de luxe ou de rebut, qu’ils s’empressent d’aller déposer à la mairie. C’est le colonel Schartow, commandant des étapes, qui a fait afficher, la veille, l’ordre à tous les habitants de faire le dépôt de toutes les armes qu’ils possèdent, sous peine de poursuite devant le tribunal militaire. On s’exécute donc sans se le faire dire deux fois : mais que de regrets, que de soupirs pour ces fusils de chasse, enlevés à cette date où la chasse s’ouvrait dans des temps meilleurs, pour ces armes de famille, sabres d’honneur, épées des époux et des pères, souvenirs et reliques des ancêtres, dont il faut se séparer, peut-être pour toujours ! Je vois des yeux baignés