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lundi 29 août. — 1870.

Ce matin, à la librairie Nicolas Grosjean, on se chamaille encore au sujet de la dépêche d’Épinal et les croyants continuent à accabler les sceptiques des invectives de leur patriotisme indigné. Les évolutions du troupeau de bœufs conservent toute leur vertu démonstrative et un naïf fait observer que ces mouvements sont d’autant plus concluants qu’ils sont signalés par le maréchal Mac-Mahon lui-même à l’appui de sa victoire et, tirant de sa poche une édition revue et augmentée de la fameuse dépêche, il nous lit ces mots qui manquaient aux exemplaires de la veille : — « les bœufs retournent sur leurs pas. » — Cette fois la plaisanterie était trop forte : Mac-Mahon, du fond de la Haute-Marne, signalant dans un bulletin de victoire les mouvements d’un troupeau de bœufs à Nancy ! On touchait du doigt la preuve de l’existence d’une fabrique locale de fausses dépêches. Le soupçon de quelque cruelle mystification se présente alors à l’esprit des plus crédules et commence à les ébranler dans leur foi. Nos éclats de rire achevèrent leur conversion et les firent passer de notre côté. En même temps on vint nous dire que les bœufs s’étaient remis en marche vers Toul. Donc l’invasion recommençait, et l’espoir de voir l’ennemi battre en retraite s’évanouissait sans retour. C’est ainsi que la dépêche d’Épinal tomba dans l’eau.

Ces observations sont bien minutieuses, je le sais, mais elles ont plus de portée qu’on ne pense. Il est