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mardi 23 août. — 1870.

et de Prussiens. J’en ai reçu plus d’une fois le compliment. À quoi donc tient cette disposition d’esprit qui transforme en enfants des hommes à barbe grise, et qui les prive de leur jugement et de leur bon sens habituels ? À une certaine faiblesse morale qui rend incapable de supporter la réalité du malheur, et qui fait qu’on a besoin de prendre le change par des consolations chimériques. Et ce qui me le fait comprendre, c’est ce mot que vient de me répondre un conseiller de la Cour, que je croyais une plus forte tête, et à qui je reprochais de donner dans les illusions de la foule. — « Illusions, soit ! mais nous avons besoin d’illusions dans notre infortune, et vous êtes bien cruel de les dissiper par vos doutes ! »

Les femmes ont surtout besoin de ces illusions et elles défendent avec acharnement les fictions qui les leur procurent. Plus la dépêche est forte et invraisemblable, plus elles sont ardentes à la croire et à la propager. Rien n’est de trop pour satisfaire ce besoin d’exterminer les Prussiens qui les possède. Le patriotisme les rend féroces, elles ont une soif de carnage que rien ne peut assouvir. Elle mettent à prix la tête de Bismarck et du roi Guillaume, et se réjouissent à la nouvelle périodique de leur assassinat. On n’est le bien venu que si on leur apporte l’assurance de quelque grand massacre. Déjà les victoires de 40, de 50 000 hommes hors de combat ne leur suffisent plus, il leur en faut de 80 000. Ce