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mardi 23 août. — 1870.

MARDI 23 AOÛT.

Visite à mes familles pauvres. — Le chemin de fer et le siége de Toul. — La gare et les prisonniers français. — Une dépêche fantastique. — Besoins d’illusions.

Dès le matin, je vais visiter mes pauvres de saint Vincent de Paul, dans le quartier des Grands-Moulins. On ne leur envoie pas de billets de logement, et la guerre n’ajoute rien à leur misère habituelle. Et cependant ils sentent vivement la honte et l’humiliation de notre désastre ; ils ont au cœur la haine violente de l’étranger et ils entretiennent un indomptable espoir de délivrance.

Cette tournée me fait toujours le plus grand bien. On ne se doute pas combien la conversation avec les pauvres, quand ils ne sont pas abrutis par le vice, l’impiété et les perverses doctrines de la Sociale, s’élève facilement jusqu’aux idées les plus droites et les plus hautes. Ce ne sont pas eux qui vous chicanent quand vous leur dites que nos malheurs sont le châtiment de nos fautes, que Dieu nous les envoie pour nous corriger, et qu’il faut nous repentir et nous amender pour en voir la fin. Ils tombent d’accord avec vous sur tout ce qui est vrai dans l’ordre moral et religieux, et ils vous font des répliques qui prouvent qu’ils en savent autant que vous à cet égard, et qu’ils ont la raison plus saine que les plus fiers représentants de la sophistique contemporaine. À la joie de trouver dans ces taudis des âmes encore naturellement chrétiennes