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vendredi 19 août. — 1870.

sité du matériel que traîne après soi une armée. Hier, il est entré par la porte Saint-Georges un convoi de plus de cent voitures chargées de foin, de paille, de pain, ce gros pain noir, épais et lourd comme du mastic, et qu’il serait impossible à des estomacs français de digérer. L’escorte se composait de soldats bavarois. Les convoyeurs ne sont plus, comme les jours précédents, des paysans français de la Lorraine, mais des habitants du Palatinat, sujets du roi de Bavière, réquisitionnés pour les transports, comme l’étaient il y a trois semaines, pour notre armée, les paysans des environs de Nancy. La Bavière expédie aussi beaucoup de bétail, pour la nourriture de ses soldats. Il y a un grand troupeau de bœufs parqué dans la prairie de Tomblaine. Il en passe souvent des bandes de deux ou trois cents par notre faubourg. Ces pauvres bêtes n’en peuvent déjà plus. On sent qu’elles regrettent les gras pâturages de leur pays, et qu’elles maudissent aussi cette guerre, qui les force à tant de fatigue pour venir se faire manger si loin.

Aussi nous n’en voulons pas à ces bons bœufs, qui sont, comme nous, les premières victimes de cette effroyable guerre. Mais il en est tout autrement à l’égard de cette nuée de traînards, qui ne sont pas militaires, et qui se donnent le plaisir de faire un voyage d’agrément à nos dépens, en suivant l’armée d’invasion. On dit qu’une foule de