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soleil, en cette tiède matinée de printemps, qui s’annonçait par un concert d’oiseaux dans les branches verdoyantes des arbres. Elle avait pris, pour compagnon de promenade, un livre de papier blanc, sur les pages duquel elle avait déjà écrit au crayon les premières scènes d’une tragi-comédie en vers, intitulée Tobie.


Pendant que la jeune poétesse s’en allait, le long de la rivière, à petits pas, méditant son œuvre et ne s’arrêtant que par intervalles, afin de transcrire sur son carnet quelques vers qu’elle venait de composer, sa pensée se pénétrait intimement du sujet biblique qu’elle avait choisi pour en faire un petit drame en six ou sept scènes : elle n’était plus à Poitiers, en ce moment. Le paysage qui se déployait sous ses yeux avait changé d’aspect et de couleur : la rivière du Clain était devenue un grand fleuve de la Médie ; elle se figurait approcher de la ville de Ragès, où Tobie allait se rendre sous la garde de l’ange Raphaël ; mais elle n’apercevait ni l’Ange ni Tobie, qui étaient les personnages de son drame. Soudain elle entend le bruit de l’eau qui jaillit et qui clapote, et ses regards hallucinés se portent sur un enfant, qui s’est mis à l’eau et qui s’essaye à nager dans le Clain ; elle a cru voir le jeune Tobie se baignant dans le fleuve, et elle imagine que le poisson monstrueux va paraître, tel que le décrit la Bible. La vision ne dure qu’un instant et s’efface aussitôt. Ce n’est plus l’ange Raphaël qu’elle voit devant elle, c’est Jules de Guersens, le médecin de sa mère et son maître ou plutôt son émule en poésie : il l’avait reconnue de loin et il venait à elle, en silence, pour la surprendre au milieu de son inspiration poétique.