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et bien portant, serait mieux soigné désormais par sa mère.


La joie de celle-ci fut aussi vive que sa douleur avait été profonde au moment où son fils lui avait été enlevé. Le jour et l’heure de la restitution de l’enfant étaient donc fixés.


André Fadounet devait revenir de Genève avec cet enfant, pour le remettre à la mère : il n’avait qu’à traverser la Saône, à un endroit désigné, au-dessous de Mâcon, et la dame des Roches, qui l’attendrait à cet endroit, en pleine nuit, recevrait de ses mains l’enfant, qu’il la priait de faire élever dans la crainte du Seigneur et qu’il se réservait de reprendre plus tard, disait-il, pour en faire un bon chrétien selon l’Évangile. La dame des Roches eut le courage de venir, seule avec sa fille, au-devant de ce cher enfant, que son mari lui ramenait. Ce fut une nuit épouvantable : la Saône avait débordé, et l’inondation couvrait en partie les plaines avoisinantes ; les eaux étaient trop grosses et trop rapides pour qu’une barque, si bien conduite qu’elle pût être, parvînt à traverser le fleuve. Madeleine des Roches attendit, toute la nuit, sur la rive, au milieu de l’inondation qui montait et s’étendait autour d’elle. La présence de sa fille, âgée alors de quatre à cinq ans, la força de songer à sa propre conservation, et de ne pas se sacrifier à sa douleur ; mais les six heures d’angoisse et de désespoir qu’elle passa, cette nuit-là, au bord de la Saône, par le vent et l’humidité, eurent une action immédiate sur sa vue : elle la perdit spontanément, sous l’influence d’une goutte sereine, et elle était aveugle quand on lui annonça qu’une barque, qui traversait