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Cependant je le vois, comme je le vois toujours, ce cher enfant !


Catherine n’avait plus le courage de répondre et de donner ainsi de nouveaux aliments à l’agitation croissante de sa mère : elle s’était levée, en pleurant, et s’habillait, sans bruit, tandis que madame Neveu, qui pleurait aussi, restait sous l’impression de son rêve et paraissait chercher autour d’elle un objet qu’elle ne parvenait pas à retrouver. C’était son fils qu’elle cherchait de la sorte, et depuis dix ans qu’elle l’avait perdu, elle ne se résignait pas encore à subir cette perte, qui lui était toujours aussi douloureuse qu’au moment même de ce funeste événement ; et, singulier effet d’un pressentiment maternel, elle s’obstinait, au fond de l’âme, à douter de la mort de son fils, tout en accusant son mari d’avoir été cause de cette mort, qu’elle ne voulait pas lui pardonner, quoiqu’il eût péri lui-même avec son enfant.


Voici en quelles circonstances la catastrophe avait eu lieu : Madeleine Neveu, d’une ancienne famille de Poitiers, était orpheline, lorsqu’elle épousa André Fadounet, seigneur des Roches, qui l’emmena en Bourgogne, où il possédait la terre seigneuriale des Roches, sur la rive droite de la Saône, à quelques lieues de Mâcon. Cette union ne fut pas heureuse ; les caractères des deux époux étaient absolument antipathiques, et la discorde entra dans leur ménage. Le seul lien qui existât entre eux et qui faisait diversion à leur mésintelligence, ce fut une sorte d’estime réciproque pour leurs aptitudes et leurs connaissances littéraires ; ils avaient tous deux la même ardeur pour l’étude et le même goût pour la poésie, mais avec des