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car celle ci, depuis plus de dix ans, avait pris à tâche de soigner sa mère et de veiller sur elle jour et nuit.

La mère et la fille s’entretenaient ensemble.

— Chère mère, disait Catherine, vous étiez terriblement agitée dans votre sommeil. Vous avez plus d’une fois parlé à haute voix, en invoquant Dieu et lui demandant grâce avec tant de ferveur et de foi, que je retenais mon haleine, dans la crainte de vous éveiller et d’interrompre quelque beau rêve.

— Plût à Dieu que tu l’eusses fait, mon enfant ! s’écria madame Neveu, car ce rêve avait de profondes émotions, et après avoir failli mourir de joie, j’en ai failli mourir de douleur.


— Vous m’avez mainte fois assurée, reprit Catherine, que les rêves ont une origine bienfaisante ou funeste, divine ou infernale, quand ils expliquent le passé et révèlent l’avenir. Telle était sans doute l’opinion des anciens sur la nature des songes, comme je le lisais encore hier dans les livres de Plutarque. Mais, aujourd’hui, il vaut mieux croire que les rêves, du moins la plupart, ne sont que des efforts incohérents de la pensée et de la mémoire, qui travaillent dans une sorte d’état de fièvre durant le sommeil.


— Je dormais, il est vrai, dit madame Neveu, mais j’avais dans mon rêve l’esprit si clairvoyant, si éveillé, que je voyais les choses aussi nettement que j’aurais pu les voir avec les yeux, si je n’étais pas aveugle. Ainsi, j’ai vu ton frère Jacques, qui venait à moi, souriant, les bras tendus, pour m’embrasser ; je lui tendais les miens, pour le recevoir et pour le presser sur mon cœur, mais nous avions beau marcher l’un vers l’autre, nous restions toujours à la même distance, moi l’appelant à grands cris, lui me