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une bonne action de rabelais

leur bourse, et je n’ai trouvé que vous, monsieur le curé, vous prêtre chrétien, qui daignez me porter secours et vous intéresser à ma déplorable et irréparable situation ! Vous seul au monde m’avez pris en pitié.

— Je ferai de mon mieux, et Dieu fera le reste ! dit Rabelais, dont Sara et Thadée baisèrent les mains.

— Monsieur le curé, lui dit tout bas l’enfant, vous plaît-il que j’aille quérir un peu de nourriture pour mon père, qui meurt quasi de besoin et qui n’a rien mangé depuis hier ?

— Est-il vrai, ajouta la jeune fille, à qui son frère avait eu le temps de rendre compte de sa mission au presbytère de Meudon, est-il vrai, mon vénéré seigneur, que je puisse offrir quelques gouttes de vin à ma mère, qui s’en va trépasser d’inanition et de faiblesse ?

Rabelais n’avait pas entendu la fin de cette supplique filiale ; il s’était élancé hors de la cabane, pour appeler Guillot et faire apporter le panier qu’il avait eu la précaution de bien remplir : rien n’y manquait, ni le vin, ni pain, ni les viandes froides. Ce fut lui-même qui déposa ce panier devant le grabat des deux malades et qui leur présenta de sa propre main les aliments qu’ils acceptèrent avec reconnaissance. Il assistait en silence à ce spectacle émouvant et terrible de la faim, d’une faim aux abois, qu’on semblerait ne pouvoir jamais apaiser, et qu’il faut pourtant contenir par prudence.

— Et toi, Sara, dit Thadée à sa sœur, qui n’osait pas prendre sa part de ce repas qu’elle contemplait avec un œil d’envie, n’as-tu pas une aussi belle faim que nos pauvres parents ? Approche, sœur, et fais grande chère