Page:Lacroix - Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants, 1897.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
53
une bonne action de rabelais

attribués et qu’il semblait ne toucher qu’à regret, Rabelais appela son sacristain, et lui ordonna de rassembler dans un panier tout ce qui se trouvait sur la table et d’attacher le panier sur la selle de l’ânesse du presbytère.

— Tu viendras avec nous, Guillot, lui dit-il ; tu conduiras l’ânesse par le licou, et si j’étais trop fatigué de la route, tu me ramènerais, sur l’ânesse, à Meudon, comme notre Seigneur Jésus entrant à Jérusalem pour s’y faire crucifier.

— Est-il possible, monsieur le curé, répondit à voix basse le sacristain, qui avait écouté à la porte l’entretien de Rabelais avec l’enfant, est-il possible que vous vouliez nous mener chez des juifs, avec ce petit fils de Barrabas et de Judas ?

— Guillot, interrompit sévèrement le curé, j’aime mieux un juif honnête homme, qu’un chrétien malhonnête !

Le cortège se mit en marche : Guillot conduisant l’ânesse avec les victuailles, et faisant assez piteuse mine ; Rabelais, en costume ecclésiastique, tenant par la main l’enfant, qui avait honte de se montrer, nu-pieds et tête nue, auprès du curé de Meudon. On regardait, en effet, avec surprise, ce bizarre cortège. Un page de la maison de Lorraine arriva, sur ces entrefaites, et resta confondu, en voyant M. le Recteur, ainsi qu’on le qualifiait au château, donner la main à un petit gueux déguenillé et sans souliers. Il venait, de la part de la duchesse de Guise, saluer Rabelais et l’inviter à souper ce soir-là. Rabelais fit réponse qu’il s’y rendrait certainement, d’autant plus qu’il aurait une belle histoire à conter à la bonne duchesse et une belle œuvre de charité à lui proposer.