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une bonne action de rabelais

— Dis-moi, petit, lui demanda-t-il, lequel de vous sait donc lire dans la famille ?

— Nous savons tous lire, monseigneur le curé, répondit l’enfant le plus simplement du monde.

— Tous ? s’écria Rabelais surpris et charmé. Voilà de braves et dignes gens ! La fille et le fils savent lire aussi ! Ne veux-tu pas rester avec moi, mon cher enfant, ajouta-t-il, en l’embrassant encore une fois comme un père.

— Oh ! bien volontiers, reprit l’enfant avec une vive émotion, oui, volontiers, monseigneur le curé ! Mais vous me permettrez de voir souvent mon père, et ma mère, et ma sœur ?

— Assurément, dit Rabelais. Ce n’est pas moi, Dieu merci, qui voudrais séparer à toujours l’enfant de son père et de sa mère ! Çà, mon cher fils, quel est ton nom de baptême ? Que je puisse te donner ce nom désormais, comme si j’étais ton second père, ton père adoptif. Je ferai de toi un gentil enfant de chœur, et tu seras, un jour, après moi, curé de Meudon, si le bon Dieu te fait cette grâce.

— Je me nomme Thadée, répondit tristement l’enfant après un moment de silence et de réflexion, mais je ne puis être ni enfant de chœur, ni curé, mon très vénéré seigneur, puisque je suis né israélite.

Rabelais respecta les scrupules religieux de cet enfant, qui avait été élevé dans la foi de ses pères, et il n’ajouta pas une parole qui fût de nature à le troubler et à le chagriner à cet égard ; mais, ayant remarqué que le petit Thadée n’oubliait pas ses parents, puisqu’il mettait de côté pour eux une partie des aliments qui lui étaient