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une bonne action de rabelais

la main vers un coffret de fer ciselé, à demi caché sous les papiers dont la table était couverte ; il l’ouvrit en faisant jouer un ressort qui le fermait et il y prit dix pièces d’or, qu’il réunit aux premières ; il remit ensuite le tout dans l’escarcelle, qu’il fit disparaître dans une des poches de sa robe.

— Nous allons déjeuner avant de partir, dit Rabelais à l’enfant qui ne revenait pas encore de son étonnement admiratif. Il y a loin d’ici au Camp des Sorcières ! Je m’aperçois que nous avons l’un et l’autre l’estomac aussi vide que la bourse d’un pauvre homme.

Il emmena l’enfant, par la main, dans une salle basse, où la table était copieusement servie : un jambon, des andouilles fumées sortant de dessus le gril, un chapon gras sortant de la broche et deux flacons de vin rouge et blanc. L’enfant aspirait délicieusement l’odeur de la chair cuite, et regardait d’un œil stupéfait les apprêts de ce succulent repas.

— Nous ne mangerons qu’une bouchée, dit Rabelais, et ne boirons qu’un coup de vin pour nous donner cœur au ventre. Mange et bois, mon fils ! Que la sainte bénédiction de Dieu descende sur ta pauvre et honnête famille !

Il avait servi lui-même son jeune convive, qui hésitait encore à manger et à boire, mais qui bientôt, encouragé par la bonne humeur du curé, se mit à l’imiter à belles dents et à plein gosier. Il buvait et mangeait comme s’il avait soif et faim depuis six mois. Rabelais se réjouissait de lui voir ce furieux appétit, et il lui donnait l’exemple à plaisir.