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une bonne action de rabelais

et maudit de tous les dieux, puisque j’ai la lèpre.

— La lèpre ! répéta Rabelais, la lèpre ! C’est une grande maladie et difficile à traiter. Nous y aviserons toutefois. Mon ami, ayez foi en Dieu, n’importe lequel, celui des juifs ou celui des chrétiens, et Dieu vous guérira.

— À Dieu plaise, mon cher seigneur ! murmura l’homme, qui était parvenu à se relever et qui ne songeait plus qu’à s’évader.

— Écoute-moi et fais ce que je t’ordonne, dit Rabelais : tu vas quitter ton travail et partir d’ici, sans tourner la tête, ni regarder derrière toi, en laissant là ta pioche et le panier où tu devais mettre les navets ; demain, au jour levé, tu reviendras ici et trouveras besogne faite. Mais va-t’en de ce pas te recoucher et dormir, si tu peux, après avoir prié Dieu, en lui demandant humblement et pieusement qu’il daigne te rendre la santé.

— Il y a cinq ans que je le prie, répliqua le pauvre homme avec amertume, et le mal n’a fait qu’empirer, ce qui témoigne manifestement que le Seigneur m’a maudit et ne veut pas me guérir.

— Ne blasphème pas, mon ami, lui dit Rabelais avec un geste impératif : aie foi en la bonté et la miséricorde de Dieu !

Le lépreux n’essaya pas de résister à l’ordre qu’on lui donnait d’une manière si solennelle, d’autant plus qu’en se relevant il avait contemplé avec effroi l’être extraordinaire qui était devant lui, et qu’il prenait pour un sorcier ou pour un spectre. Il obéit donc en silence et s’éloigna aussitôt. Rabelais exécuta immédiatement le projet qu’il avait conçu. Il ne pensait plus à la fatigue