de terre inculte, qui semblait n’appartenir à personne, et j’y ai semé des navets qui ne sont pas très bien venus, tant la terre de ce champ est dure et ingrate. Voici que je suis en train de faire ma récolte, à grand’peine et à grand effort, mon doux seigneur, attendu que je suis bien malade !
Il avait l’air d’un véritable sorcier
— Quand on est malade, on garde le lit, repartit Rabelais avec un sentiment de défiance mêlé de commisération. A-t-on vu jamais un malade quitter sa couche, à la mi-nuit, pour s’en venir piocher la terre, au clair de la lune ?
— Hélas ! seigneur mon Dieu ! s’écria douloureusement le laboureur nocturne : qu’est-ce qui nourrira ma pauvre femme et mes pauvres enfants, si je ne travaille pas pour eux jusqu’à la mort ?
— Tu as femme et enfants, dit Rabelais avec une profonde pitié, et tu es pauvre ? et tu es malade ?
— Bien malade ! bien pauvre ! répliqua l’homme, qui n’avait pas même la force de se remettre sur pied. Oh ! bien malade, mon vénérable seigneur ! Aussi mieux vaudrait-il que je fusse déjà mort.
— Quand on est malade et bien malade, dit Rabelais, on envoie quérir le médecin et l’on se soigne, pour guérir, s’il plaît à Dieu. Or çà, mon brave homme, quel est donc le mal qui te tourmente ?
— Je n’ose pas l’avouer, mon très vénéré seigneur ! répondit en hésitant le misérable, qui recommençait à trembler de tous ses membres. Ah ! je vous en conjure, ne le dites pas aux gens du pays ! ils me chasseraient à coups de fourche… Je suis maudit du Dieu d’Israël