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une bonne action de rabelais

lais, reconnaît bientôt un enfant, mais ce n’était pas la jeune fille à qui il avait promis d’apporter son pain cuit. L’enfant, dont on voyait briller les yeux comme deux charbons ardents, ne prononçait pas une parole et continuait à s’avancer délibérément jusqu’à ce qu’il fût devant Rabelais, qui n’eut que le temps de l’examiner un moment. Cet enfant, âgé de neuf ou dix ans, avait l’air sournois et malicieux, avec une physionomie très intelligente ; ses vêtements en haillons annonçaient la misère la plus sordide. Il s’empara, sans façon, par un mouvement brusque et décidé, de la corbeille que le curé de Meudon tenait à la main, et l’ayant enlevée rapidement, il s’enfuit en courant et disparut. Rabelais ne put s’empêcher de rire aux éclats.

L’enfant s’enfuit en courant et disparut

— À la grâce de Dieu ! dit-il à haute voix, en s’en allant. Voilà un petit garçonnet, qui n’est ni manchot, ni boiteux, et qui prend son bien, sans dire gare, ni merci.

Quelques jours s’écoulèrent, sans que le bon curé eût des nouvelles de la jeune fille, qui n’avait pas reparu au four banal : il avait fait savoir, dans le village, qu’il entendait qu’elle ne fût ni méprisée, ni molestée, quand elle reviendrait. Elle n’était pas encore revenue. Quant au petit voleur de pain, ce devait être, suivant les renseignements qu’il avait pris avec bienveillance à Meudon et aux environs, le propre frère de la jeune fille, un enfant qui n’avait pas même été baptisé, disait-on, et qui ne se montrait pas plus à l’église que sa sœur et ses parents ; ce qu’on n’aurait pas dû trouver étrange, puisqu’on assurait qu’ils étaient tous de la religion juive.

Un soir que maître François Rabelais retournait, bien