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une bonne action de rabelais

— Hélas ! je ne puis, mon bon seigneur, répondit-elle. Ce n’est pas que j’aie faute de confiance, mais mon père m’attend…

— Votre père ? Où est-il ? Voulez-vous me mener vers lui ? Est-ce que je vous fais peur ? Ne savez-vous pas qui je suis ?

— Quoi ! dit-elle en tremblant, vous voudriez me conduire au four banal ?… Ils étaient là comme des bêtes féroces, les femmes aussi bien que les hommes… Ils me tueraient sans pitié ni merci, ces mauvaises gens !

— Eh bien ! ma fille, j’irai seul, à votre place, repartit Rabelais. Confiez-moi cette corbeille qui contient le pain en pâte, que vous deviez mettre vous-même au four. Dans deux heures, je vous rapporterai votre pain cuit. Mais où vous le remettrai-je ? Dans deux heures il fera nuit close, et vous ne pouvez rester ici à m’attendre.

— Ah ! je n’ai pas peur, répliqua-t-elle avec une énergie bien supérieure à son âge… Je suis accoutumée d’ailleurs à me trouver seule, dans les champs ou dans les bois, pendant la nuit… Vous êtes bien bon, bien généreux, mon digne et vénéré seigneur, mais je n’ose accepter votre bienfaisante proposition… Et pourtant il faudrait que ma famille ne mourût pas de faim !… Tenez, j’accepte le service que vous voulez bien me rendre et que Dieu vous rendra en notre nom.

— Mon enfant, lui dit Rabelais avec émotion, je ne sais qui vous êtes, mais, puisque vous avez foi en Dieu, vous êtes une de mes paroissiennes, et c’est à moi d’être votre serviteur devant Dieu. Dans deux heures vous aurez votre pain, et nous vous le bénirons.