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sa mâchoire endommagée et en marchant à grands pas sur les dalles qu’il frappait rageusement du pied ; tandis que le Père Frémion soulevait la croûte d’un magnifique pâté d’Amiens, pour y chercher des compensations gastronomiques : son couteau rencontra une telle résistance, que la lame se brisa, et le pâté entr’ouvert étala, aux regards des deux gourmands confondus, la cloche elle-même, silencieusement assise dans le saindoux et occupant la place de trois ou quatre succulents canards, que les écoliers étaient en train de dévorer à belles dents, sans songer à cette même cloche, dont l’agréable son avait tant de fois charmé l’attente de leurs estomacs vides, à l’heure du repas !


Cloche et battant furent emportés, tout luisants de graisse, dans le cabinet du principal, qui ne sut jamais ni où ni comment on les avait retrouvés. Le jour même, les Pères correcteurs, remarquant parmi les élèves du quartier de la classe de cinquième, des sourires railleurs sur toutes les bouches comme dans tous les yeux, et flairant une agréable odeur d’ail et de charcuterie, qu’ils ne pouvaient méconnaître, devinèrent la destination qu’avaient eue la chair de l’andouille et le contenu du pâté ; ils en gardèrent rancune aux voleurs gastronomes : ceux-ci portèrent longtemps les marques des verges, qui ne les avaient pas ménagés, surtout Crébillon, qui fut soupçonné, sinon convaincu d’être l’auteur de l’enlèvement de la cloche et de sa disparition : il avait, d’ailleurs, assumé sur lui seul la responsabilité du vol de l’andouille et du pâté, par une belle indigestion, dont il était difficile d’accuser la maigre chère du collège, c’est-à-